Sur l'histoire des règles en narration

Dernièrement je lisais un article qui présentait des livres dans lesquels les auteurs faisaient des erreurs dans la construction de leur récit. Ce genre d'article est intéressant mais il part d'une idée qui pour moi est fausse, à savoir qu'il y aurait des erreurs en littérature. Pour moi on peut dire tout au plus qu'un public a des attentes et que si vous ne respectez pas ces attentes, l'oeuvre ne plaira pas à ses lecteurs. Mais ces attentes changent au fil de temps: ainsi, au Moyen-Age, époque où les manuscrits étaient rares et chers, un bon livre était un livre rempli de symbolismes sur lequel le lecteur pouvait méditer. En fait, un bon livre était avant tout un livre dont on ne découvrait le sens qu'après plusieurs lectures, histoire de rentabliliser l'achat, qui était souvent assez cher. Aujourd'hui, au contraire, un livre rempli de symbolismes qui ne serait pas clair des la première lecture ne trouverait probablement pas d'éditeur.

De même au XVIIe siècle, on n'attendait pas d'un roman qu'il soit crédible ou vraisemblable: on voulait au contraire qu'il vous en mette plein la vue et on ne souciait guère du réalisme des personnages, qui étaient souvent trop lisses et trop parfaits. Si aujourd'hui ce genre d'oeuvre est chiant à lire, à l'époque, la psychologie des personnages n'était pas jugée importante. Alors, peut on dire que nos livres sont meileurs que les leurs? Absolument pas, c'est juste que nos goûts ont changé.

Et ces gouts, s'ils varient en fonction des époques, varient aussi d'une région du globe à l'autre: prenons un webroman chinois comme Doupo Cangqiong, qui a eu un important succès en Chine. Eh bien, quand vous regardez les intrigues, c'est du grand what the fuck: il y a 4 ou 5 intrigues importantes en même temps pour un seul personnage! Actuellement en Europe on s'attendrait plutot à ce qu'il y ai une grande intrigue par personnage et puis basta, pour que le lecteur ne soit pas perdu (D'ailleurs, dans Doupo Cangqiong, on est un peu perdu, ce qui n'a pas empêché à l'oeuvre de trouver son lectorat!). Notez au passage que leroman chinois du XVIIIeme siècle est encore pire pusiqu'il pouvait y avoir jusqu'à une trentaine d'intrigues simultanées.

Autre exemple: au Vanuatu, les histoires hyper populaires que tout le monde aiment ne sont pas construites comme par chez nous: il y a peu d'action, la motivation des héros n'est pas toujours très claire. Quand au fameux "montrer plutot que raconter", c'est absolument inexistant: on se contente de raconter! Et puis, enfin ces gouts ne sont pas absolu dans la littérature occidentale elle même, et de très bons romans actuels ne suivent pas ces fameuses règles. Par exemple, on dit qu'un bon roman doit avoir un intrigue, sans ça le lecteur risque de ne pas y voir d'intérêt.Et ba dernièrement j'ai lu un livre d'Agnès Desarthe sans qu'il y ai vraiment d'intrigue. Pourtant ce livre a rencontré un lectorat et personellement, je l'ai apprécié.

Tout ca pour dire que ces sois disant regles ne s'apliquent qu'à un type de récit actuellement. Et prétendre que ce sont des règles qui ont été forgé par des siècles d'essais et d'erreurs est erroné: elles ne corespondent qu'aux attentes des éditeurs et d'un hypothétique lectorat, elle ne sont pas des règles d'or et probablement qu'elles aussi changeront! Rien ne nous dis que dans 200ans on ne considère pas ces règles comme des règles permettant de construire un récit hyper stéréotypé et daté. Au bout d'un moment perso, à force de voir tout le temps le même type de narration ou de construction de récit, ça finit par m'ennuyer (c'est peut être la raison pour laquelle je ne lis presque plus d'héroic fantasy)Ca ne veut pas dire qu'il ne faut pas écouter ces "règles" et ces conseils. Perso je les lis bien volontiers. Mais il faut juste rester un peu humble et savoir les considérer pour ce qu'elles sont: des normes sociales.

Enfin un dernier point: sachez que ces règles sont bien belles, et les suivre vous permettra de construire un roman efficace, mais ca ne servira peut être pas à en faire un grand roman. Car, à mon sens, ce qui fait un grand roman, ce n'est pas un ensemble de règles qui seraient suivies à la lettre, c'est le fait de pouvoir changer son lecteur de l'intérieur.